Comment abordez-vous votre arrivée à la présidence de TLF ?
Je tiens tout d’abord à saluer le travail d’Éric Hémar qui a apporté à l’Union TLF un fort dynamisme en termes de représentation syndicale professionnelle. Aujourd’hui notre syndicat a en effet une vraie crédibilité vis-à-vis de la puissance publique. Éric Hémar a défendu bec et ongles les adhérents, les petites comme les grandes entreprises, cela a été sa grande force. Il laisse par ailleurs à TLF une situation financière sécurisante pour l’avenir, ce qui nous donne des marges de manœuvre pour nos démarches de conviction et de think tank à mener pour nos adhérents.
Quels seront les enjeux prioritaires pour la fédération ?
Il y a des priorités conjoncturelles et structurelles. La conjoncture économique n’est bonne pour personne et le transport n’échappe pas à la règle. Le secteur a en effet enregistré des augmentations de coûts de plus de 7% en deux ans. La demande actuelle reste en dessous de sa moyenne de long terme et les prévisions ne sont pas très optimistes. Le transport a enregistré près de 2000 défaillances d’entreprises l’année dernière, soit + 30% par rapport à 2023. Il ne faut pas oublier que le transport ne réalise pas de marges très importantes. On a du mal à répercuter la hausse de nos coûts. C’est déjà le cas quand tout va bien, mais lorsque l’activité générale de nos clients baisse, les négociations deviennent impossibles. Par ailleurs, le budget 2025 ne facilite pas la tâche. Il inclut une réduction de la baisse des cotisations, des taxes sur le verdissement des flottes, la diminution des aides et des subventions sur l’apprentissage. Pour un groupe comme Heppner par exemple, ces trois mesures cumulées représentent un coût d’un million d’euros… Sans oublier les anciennes démarches fiscales comme le bonus-malus qui continuent de peser sur le fonctionnement des entreprises.
Qu’en est-il de la transition énergétique ?
Bien qu’elle puisse être source d’opportunités, elle se fait de façon brutale avec la mise en place de normes comme la ZAN (Zéro artificialisation nette) ou les ZFE et la limitation d’accès en centre-ville. Maintenant, la version deux de l’écotaxe est en cours. En parallèle, les aides et les technologies retenues pour cette transition ne sont pas claires. Et les infrastructures ne sont pas déployées... Pour améliorer la conjoncture, il est urgent de mettre un coup d’arrêt à cette folie normative et fiscale sur le transport. Nous payons la taxe à l’essieu et la TICPE, nous sommes donc déjà extrêmement contributeurs. Nous sommes en effet le 7e pays européen en matière de taxation sur le gazole routier. Par ailleurs nous représentons 5% des usagers de la route mais contribuons à hauteur de 8% des revenus pour les infrastructures. On reste la cible facile de la pollution et de la casse des infrastructures. C’est un travail de défense que je prendrai très à cœur, dans la continuité d’Éric Hémar.
Le secteur souffre toujours d’un déficit d’image dans l’opinion publique. Selon vous, quels sont les atouts du secteur ?
Il faut travailler sur l’attractivité car nous avons de vrais avantages à mettre en avant. Les gens oublient ce que représente le secteur du transport, notamment en matière d’emplois, puisqu’il regroupe 2,1 millions de personnes en France. Il est pourvoyeur d’emploi, formateur et donne accès à des responsabilités, que ce soit dans les centres urbains, les milieux péri-urbains, dans les territoires. C’est par ailleurs un métier qui se digitalise, se robotise, apporte de l’ergonomie. Ces métiers sont de moins en moins pénibles. Et il y a toujours l’image du camion pollueur mais, sur ce point aussi, les transporteurs sont bien plus dans l’innovation que ce que les gens extérieurs imaginent. Ils se sont engagés dans la transition et ont réalisé beaucoup d’investissements pour verdir leur activité.
Quelles évolutions envisagez-vous pour l’Union TLF sur les trois prochaines années ?
Trois principales évolutions se profilent. Tout d’abord, une extension du périmètre de jeu au niveau local me semble important. Les enjeux évoqués précédemment sont fortement déjà travaillés au niveau national par TLF. Ils le sont aussi au niveau local mais je pense qu’il faut l’accentuer, car le sens de l’histoire va de plus en plus vers une décentralisation des tâches sur beaucoup de thématiques. Par exemple les régions qui reprennent la gestion des infrastructures routières peuvent la financer à travers la nouvelle mouture de l’Écotaxe. Il faut donc un accompagnement local. C’est également le cas pour la mise en place des ZFE, des ZAN…
Et, inversement, 40% des normes viennent de l’Union européenne et nous devons donc aussi renforcer ce périmètre. TLF s’est déjà dotée d’une nouvelle déléguée en charge des affaires européennes. Il nous faut également accompagner davantage ce mouvement. Enfin, nous renforcerons notre travail sur la transition environnementale, pour avoir plus de visibilité et ainsi pouvoir accompagner les TPE et PME qui composent 75% des adhérents de TLF.
Quelle est votre position sur la volonté des pouvoirs publics à privilégier le multimodal ?
Nous sommes récemment actifs sur cette thématique avec une commission dédiée créée en 2024 au sein de TLF. Toutefois, entre le vouloir et le pouvoir, il y a une marge assez significative aujourd’hui. Le rail s’est défait avec la désindustrialisation car il est adapté à la marchandise lourde qui n’a pas besoin de délais. Il faut qu’on accompagne le combiné rail-route qui se déploie petit à petit, comme le fluvial. Mais un tel déploiement représente plusieurs milliards d’euros d’investissements. Il faut donc être bien conscient de ce que ces modes représentent si l’on veut leur donner l’essor nécessaire.
Comment appréhendez-vous les discussions avec les interlocuteurs politiques dans ce contexte d’instabilité gouvernementale ?
Nous nous positionnons comme un interlocuteur exigent vis-à-vis des différents acteurs. Nous avons pu échanger avec le ministre délégué aux Transports Philippe Tabarot début mars et nous avons mis les différents sujets sur la table. Nous rencontrons aussi régulièrement d’autres interlocuteurs gouvernementaux, comme la ministre de la Transition environnementale ou celui de l’industrie. Nous devons expliquer aux uns et aux autres en quoi nous représentons un maillon essentiel de l’industrialisation. L’acculturation est importante, d’autant que les députés, avec le renouvellement de l’Assemblée, sont plus jeunes en termes d’expérience et moins rompus sur certains sujets qu’auparavant.
Le dialogue social a donné lieu à plusieurs accords ces cinq dernières années. Les derniers mois ont été plus compliqués, par exemple avec une revalorisation des grilles salariales conventionnelles à 0% en janvier. Dans un contexte économique morose, comment appréhendez-vous les prochaines négociations sur les dossiers sociaux ?
Ces dernières années, on a observé un dialogue social constructif, avec des signatures d’accord régulières, des dialogues positifs, au niveau de la branche mais aussi dans les entreprises. En effet, dans l’ensemble, les adhérents nous font part de climats sains et apaisés. Nous avons eu des avancées sur un certain nombre de sujets portant notamment sur l’attractivité. Nous ne pouvons pas garantir des niveaux de négociations déraisonnables car la conjoncture économique n’est plus la même. Il faudra par conséquent être extrêmement attentifs à la compétitivité de notre secteur pour éviter que les défaillances se poursuivent.
Les blocages dans les ports se poursuivent et pèsent de plus en plus sur l’activité de transporteurs routiers. Quelles mesures seraient à mettre en place selon vous ?
Les blocages actuels des ports altèrent considérablement la pérennité du secteur. Quelque 30% des volumes qui devraient passer par la France sont déroutés à l’étranger. C’est un vrai enjeu clé. Nous avons donc demandé à actionner les mesures de chômage partiel et une coordination interministérielle pour les ports. Il y a un problème conjoncturel à l’instant T et un problème structurel qui ne permet pas au transport et à la logistique de maintenir son rang. Nous sommes à la 12e place au niveau européen, il y a un vrai déclassement.
Portrait
À 42 ans, Jean-Thomas Schmitt est depuis près de 10 ans à la tête d’Heppner, groupe créateur de solutions de transport et logistique depuis 1925. Il est ainsi la 4e génération d’un groupe qui fête cette année ses 100 ans. Après un Master en finances à l’Edhec, Jean-Thomas Schmitt intègre directement en 2008 le groupe Heppner. Il suit un parcours opérationnel pendant les cinq premières années, d’abord sur des postes dédiés à l’aérien et au maritime, puis au transport terrestre. Il prend des postes de responsabilité de service, avec l’international terrestre puis une direction régionale. En 2012, il reprend une direction générale déléguée, en charge notamment des opérations terrestres. Jean-Thomas Schmitt prend la direction générale du groupe en 2015 puis la présidence en 2021.
Jean-Thomas Schmitt est, par ailleurs, membre du comité stratégique de TLF et vice-président du METI. Il est aussi co-président du Club ETI Grand-Est.