À Bruxelles, au nom de l’Europe politique et sociale toujours en construction, il y a des batailles et des bras de fer dont on ne mesure pas immédiatement, avec acuité, les tenants et aboutissants. Le travail détaché entre dans cette catégorie. Il fait partie de ces dossiers, du type poupée gigogne, qu’il est impossible d’ignorer au principe qu’ils sont ardus et complexes. Pour le transport routier tout en mobilité et franchissements de frontières, sous la notion de « travail détaché » se cachent des réalités bien concrètes : salaires minimum et conditions de rémunération, activités temporaires, protection sociale, responsabilité des donneurs d’ordre, travail dissimulé, dumping social… Elles sont le ferment de la concurrence illégale et de l’économie souterraine. Et minent le projet européen originel du marché unique. Difficile, donc, au regard de ces enjeux, de faire l’autruche sous peine de graves déconvenues une fois que la directive est votée et que sa mise en musique s’impose à chaque pays de l’UE (risque de déconvenue encore plus sévère en France où la couverture sociale est en grande partie financée par les salaires et les charges patronales). Pour faire converger les avis contraires, trois grands principes ont été édictés par la commissaire européenne Marianne Thyssen, en charge de la réforme de la directive de 1996 qui démarrera en mars : respect des conditions salariales du pays d’accueil ; émergence du principe d’un salaire minimum ; définition plus précise de ce qui est « temporaire ». Dans l’Hexagone, c’est peu de dire que les principales organisations professionnelles du TRM et leurs relais à Bruxelles ont conscience des opportunités et des dangers de la réforme de la directive. Le travail détaché et sa nature temporaire peuvent concerner, en plein, le cabotage routier. La réforme peut ouvrir la discussion sur sa redéfinition (cabotage à voir dans sa durée, dans le nombre d’opérations, dans les conditions de rémunération du personnel roulant…). Depuis sa libéralisation encadrée, et faute de contrôles réguliers, le cabotage a pris du poids dans les transports nationaux, voire régionaux. Il place le conducteur routier (salaires, charges et conditions de travail) au cœur des modèles économiques. Toute la difficulté sera, pour Bruxelles, de savoir conjuguer deux temps sur ce dossier sensible : celui des urgences, qui doit clarifier, et celui du long terme, qui doit planifier.
Éditorial